Quand la garrigue s’embrase, les villages retiennent leur souffle
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, l'été rime souvent avec vigilance. Derrière la beauté des paysages, entre plateaux secs, pinèdes et garrigues, plane un risque bien connu des habitants : celui des feux de forêt. Le climat méditerranéen, combiné à la sécheresse croissante, transforme chaque étincelle en menace. À Digne-les-Bains, Forcalquier ou Castellane, les habitants apprennent à vivre avec cette ombre estivale qui plane sur les collines. Chaque été, pompiers, élus et bénévoles redoublent d’efforts pour contenir les flammes et limiter les dégâts. Et si le feu ravage, il laisse aussi derrière lui des leçons de résilience, de solidarité… et de prévention.
Un risque récurrent sur une grande partie du département
Le feu de forêt constitue un risque majeur pour le département des Alpes-de-Haute-Provence, classé chaque année en vigilance accrue de juin à septembre. Selon le Plan Départemental de Protection des Forêts contre les Incendies (PPFCI), plus de 230 000 hectares de zones boisées sont exposés, soit près de la moitié de la superficie du département. Les territoires les plus sensibles se situent dans la moitié sud : la vallée de la Durance, le plateau de Valensole, le secteur de Manosque, et les collines autour de Sisteron. Le Mistral et la tramontane, vents secs et puissants, peuvent y attiser le moindre départ de feu.
En 2022, un incendie a ravagé près de 250 hectares entre Niozelles et Villeneuve, mobilisant plus de 300 pompiers sur deux jours. Plus récemment, en juillet 2023, c’est à Sainte-Tulle, en bordure du Luberon, qu’un feu s’est déclenché à proximité d’une zone résidentielle, obligeant à des évacuations préventives. Ces exemples rappellent que le risque n’est pas théorique, et que la moindre imprudence — un barbecue mal éteint, une cigarette jetée — peut avoir des conséquences dramatiques.
Une organisation solide mais sous tension à chaque alerte
La lutte contre les feux de forêt repose sur une organisation coordonnée entre plusieurs acteurs : le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS 04), les services préfectoraux, les collectivités locales, mais aussi les comités communaux feux de forêt (CCFF), particulièrement actifs dans les villages comme Reillanne ou Riez. En période estivale, des patrouilles sillonnent les pistes forestières pour repérer les départs de feu le plus tôt possible. Le préfet peut également interdire l’accès à certaines forêts par arrêté temporaire, notamment autour de la montagne de Lure ou dans le massif des Monges.
Malgré cette mobilisation, la vigilance citoyenne reste une pièce maîtresse du dispositif. Dans un département touristique, les passages répétés de randonneurs, de campeurs ou d’automobilistes augmentent le risque d’imprudences. Les panneaux de signalisation aux abords des forêts, les messages radio et les applications d’alerte contribuent à faire passer les bons réflexes : ne pas allumer de feu, ne pas stationner dans les herbes sèches, prévenir immédiatement les secours en cas de fumée suspecte.
Adapter les pratiques et renforcer la prévention face au changement climatique
Les effets du changement climatique modifient la nature même du risque. Les feux sont plus précoces, plus intenses, et parfois plus difficiles à maîtriser. Le département mène donc des actions de prévention ciblées : débroussaillement obligatoire autour des habitations (avec amendes à la clé), création de pare-feu, sensibilisation dans les écoles ou lors des marchés d’été. À Gréoux-les-Bains, un projet de reboisement expérimental intègre désormais des essences plus résistantes à la sécheresse, en lien avec l’ONF et les associations locales.
La mémoire des incendies passés et l’anticipation de ceux à venir poussent peu à peu les collectivités à revoir leurs plans d’urbanisme, en tenant compte des zones à risque. À Oraison ou à Volx, les constructions nouvelles doivent désormais respecter une distance minimale des zones boisées. Ces choix, parfois contraignants, participent à une culture partagée du risque et à une adaptation progressive du territoire.
Apprendre à habiter une nature vulnérable, sans renoncer à la préserver
Face au feu, c’est toute une chaîne humaine qui se met en mouvement. Du pompier volontaire au maire de petite commune, du garde forestier à l’écolier averti, chacun a un rôle à jouer. Le feu, s’il détruit, peut aussi souder. Mais pour limiter les impacts, il faut aussi se projeter dans l’avenir : adapter les forêts, repenser nos loisirs, éduquer, encore et toujours. Car dans les Alpes-de-Haute-Provence comme ailleurs, habiter un territoire à risque, c’est apprendre à cohabiter avec une nature aussi belle que vulnérable.