L’accident survenu le 24 avril 2012 à Plounévez-Moëdec reste un épisode marquant pour les habitants du secteur de Guingamp. Il faisait beau, la lumière était claire, la RN12 roulait calmement entre Morlaix et Saint-Brieuc, et les équipes de la Direction interdépartementale des routes de l’Ouest (DIRO) menaient un simple chantier de nettoyage des accotements, une opération habituelle sur cette portion très fréquentée. Pourtant, quelques instants après 13 h 50, un camion-citerne transportant 27 tonnes d’hydrocarbures a percuté de plein fouet un camion de chantier équipé d’une flèche lumineuse. Le choc a été si violent qu’un incendie s’est déclaré presque immédiatement, gagnant les deux véhicules. Les conducteurs, l’un salarié d’une entreprise de transport de Plougastel-Daoulas, l’autre agent expérimenté de la DIRO, n’ont pas pu être secourus. Le drame a touché les communes voisines de Plounévez-Moëdec, Plounérin et Louargat, où beaucoup se souviennent encore de la colonne de fumée visible depuis les champs et des sirènes convergeant vers la RN12.

Un chantier conforme et pourtant vulnérable

Les travaux engagés ce jour-là n’avaient rien d’exceptionnel : un fourgon placé en amont affichait un message lumineux clair – « roulez à gauche » –, suivi, 270 mètres plus loin, d’une remorque équipée d’une flèche lumineuse de rabattement, puis d’une seconde flèche quelques dizaines de mètres plus loin. Une configuration standard, parfaitement conforme aux règles nationales. Les distances étaient bonnes, les équipements visibles, la météo idéale, et la route, légèrement courbe à cet endroit, offrait une visibilité largement suffisante pour anticiper la progression du chantier. Pour les conducteurs venant de Brest vers Rennes, le message était limpide : se déporter sur la voie de gauche afin de laisser la bande d’arrêt d’urgence et la voie droite au personnel de la DIRO, qui nettoyait les abords.

Malgré cette installation rigoureuse, la situation montre à quel point les agents travaillant en bord de route restent exposés. Même lorsque tout est correctement en place, le risque zéro n’existe pas, et la moindre inattention peut suffire à transformer un chantier banal en situation critique.

Une réaction qui n'est jamais venue

Le point le plus troublant révélé par les enquêteurs du BEA-TT est cette absence totale de réaction du conducteur du camion-citerne. Pas un coup de frein, pas un écart, alors qu’il roulait à une vitesse adaptée (80 km/h), qu’il connaissait parfaitement la RN12, et qu’il n’était gêné ni par la circulation, ni par un problème mécanique, ni par des conditions météo adverses. Les analyses n’ont relevé ni alcool, ni stupéfiants, et l’homme, conducteur prudent et expérimenté, n’avait commis aucune infraction aux règles de conduite dans les heures précédentes.

Les enquêteurs penchent pour une hypothèse simple mais implacable : un moment d’inattention prolongé, d’au moins sept secondes, suffisant pour ne pas distinguer que la flèche lumineuse n’était pas seulement un avertissement sur l’accotement, mais annonçait un véhicule positionné partiellement sur la voie droite. Ce détail, pourtant visible à 150 mètres, n’a visiblement pas été interprété à temps. Le choc a éventré la citerne, provoquant une fuite d’hydrocarbures qui se sont enflammés quelques dizaines de secondes plus tard, possiblement à cause d’un arc électrique. Les flammes ont aussitôt gagné les deux camions. Les agents de la DIRO, arrivés près du point d’impact, n’ont pas pu approcher tant la chaleur était intense. Leur réflexe de dévier la circulation par la bretelle en amont a toutefois évité un sur-accident sur cette portion très roulante de la RN12.

Ce que cet accident nous apprend encore aujourd’hui

Cet événement, survenu en plein cœur des Côtes-d’Armor, rappelle à quel point les chantiers mobiles réalisés sous circulation constituent des environnements fragiles. La RN12, axe structurant entre Morlaix, Guingamp, Plounévez-Moëdec et Saint-Brieuc, voit passer chaque jour un nombre important de poids lourds ; ces véhicules sont surreprésentés dans les collisions impliquant des flèches lumineuses. Conduire un engin de 40 tonnes, gérer la distance de freinage, anticiper la signalisation : rien de tout cela ne laisse droit à l’approximation.

Les recommandations émises par le BEA-TT ouvrent d’ailleurs des pistes intéressantes :

  • utiliser davantage de flèches lumineuses déportées, qui permettent de maintenir le véhicule de chantier entièrement sur la bande d’arrêt d’urgence ;

  • étudier des systèmes d’alerte non visuels (vibrations, son, revêtements temporaires) capables de capter l’attention d’un conducteur inattentif avant qu’il n’arrive sur la zone de travaux ;

  • renforcer encore la formation des équipes intervenantes et améliorer le partage d’informations entre usagers et gestionnaires de voirie.

Dans un territoire où les routes nationales sont des axes de vie quotidienne, ces pistes contribuent à réduire le risque pour les agents de terrain, mais aussi pour les usagers, qu’ils traversent le secteur de Plounévez-Moëdec pour rejoindre Guingamp ou qu’ils empruntent la RN12 depuis la Bretagne occidentale.

Mieux comprendre pour mieux prévenir

Cet accident rappelle que la vigilance au volant reste la première barrière de prévention. Pour les conducteurs, plusieurs gestes simples peuvent réduire le risque lors de la traversée d’un chantier sur route nationale : lever le pied dès l’apparition d’un panneau lumineux, anticiper les mouvements de voie, éviter les distractions, garder une distance suffisante avec le véhicule précédent, et se méfier des impressions trompeuses – une flèche peut annoncer un obstacle bien plus proche qu’on ne le pense.

Pour les gestionnaires de réseau, l’enjeu est de continuer à moderniser la signalisation, d’expérimenter des solutions qui attirent l’attention autrement que par la seule lumière, et de maintenir une vigilance sur les pratiques d’intervention en bord de voie.

Dans les Côtes-d’Armor comme ailleurs, chaque amélioration, même discrète, contribue à rendre ces portions de route un peu plus sûres pour ceux qui les entretiennent comme pour ceux qui les empruntent. Cette mémoire, douloureuse mais utile, invite à poursuivre ce travail patient de prévention, pour que les chantiers du quotidien ne basculent plus dans l’irréparable.