Une bande de sable qui rétrécit imperceptiblement chaque année, des habitations de bord de mer menacées, des falaises qui s’effritent au fil des tempêtes tropicales : l’érosion du littoral en Martinique est désormais un phénomène tangible. Derrière le charme de ses plages de sable blanc, l’île doit composer avec la montée progressive du niveau de la mer et des déplacements humains et économiques. Cet article décrypte l’ampleur du recul du trait de côte, ses répercussions sur les communautés et les infrastructures, et les réponses déjà mises en place par les acteurs locaux.
Contexte et enjeux
Le littoral de la Martinique s’étire sur près de 480 kilomètres, alternant plages de sable fin, mangroves et falaises abruptes. Les secteurs sableux, qui constituent environ 13 % de ce linéaire, attirent touristes et habitants pour la douceur de leur accès. Or, dans certaines zones exposées à la houle tropicale — notamment autour du Diamant ou de Sainte-Luce — on mesure un recul annuel du trait de côte pouvant atteindre 20 centimètres. Cette tendance résulte de la conjugaison d’événements naturels, comme les tempêtes et la montée des eaux, et d’activités humaines, telles que l’urbanisation du cordon dunaire ou l’extraction de matériaux. Une mission conjointe de la DEAL et du CEREMA conduite début 2025 a estimé que plus de 1 200 bâtiments seraient exposés au recul du rivage d’ici 2052, et que près de 10 % de la superficie de l’île pourrait être affectée par l’érosion à cet horizon. Cette projection souligne la nécessité de repenser l’aménagement du littoral et de mieux protéger les milieux naturels et les populations installées en bord de mer.
Dynamique de l’érosion
Sur les plages de sable, l’érosion se manifeste par un amincissement graduel et la disparition progressive des dunes, qui faisaient autrefois office de rempart naturel contre la houle. Les relevés de janvier 2025 pointent un recul moyen de 15 à 20 centimètres par an dans les secteurs les plus exposés, corrélé à une fréquence accrue des tempêtes cycloniques et des épisodes de forte houle. Les falaises, notamment à Basse-Pointe ou au Prêcheur, subissent un affouillement de leur base, provoquant parfois des éboulements soudains et fragilisant les constructions proches du bord. Au-delà du risque pour l’habitat, le phénomène menace des infrastructures clés : le Grand port autonome de Martinique, à Fort-de-France, et l’aéroport international Martinique Aimé-Césaire, situé sur la commune du Lamentin, figurent désormais dans les scénarios d’impact à long terme. Ces ouvrages, vitaux pour l’économie insulaire, font l’objet d’études pour évaluer les adaptations nécessaires à l’horizon 2050 et au-delà.
Impacts sur les territoires
Les premières victimes sont les riverains : plusieurs familles ont d’ores et déjà été déplacées vers l’intérieur de l’île, parfois dans des conditions précaires, perdant leurs repères et leurs biens. Les communes de Trinité, Sainte-Anne et les Anses-d’Arlet ont lancé des études de relocalisation pour anticiper la disparition de zones bâties. Sur le plan économique, la réduction des surfaces de plages risque de fragiliser l’activité touristique, pilier de nombreuses entreprises locales — hôtellerie, restauration, prestataires d’activités nautiques — et de modifier la fréquentation saisonnière. Par ailleurs, la dégradation des dunes amoindrit leur rôle de barrière naturelle contre la submersion marine, amplifiant la vulnérabilité aux inondations lors des épisodes de forte houle ou de tempête cyclonique. Enfin, les opérations de protection lourde, comme les enrochements ou les digues, peuvent dégrader les écosystèmes : mangroves et zones humides, essentielles pour la biodiversité marine et la régulation hydrologique, voient leur emprise diminuer face aux travaux et à l’urbanisation.
Stratégies d’adaptation
Pour limiter les effets de l’érosion, plusieurs pistes sont explorées ou déjà engagées par les acteurs institutionnels et scientifiques :
- Nourrissage artificiel : transfert de sable vers les plages les plus érodées, accompagné d’un suivi rigoureux pour mesurer la pérennité de cette démarche.
- Protection douce : plantation d’espèces adaptées (oyats, tamaris) pour renforcer la cohésion des dunes et favoriser la résilience naturelle face à la houle.
- Relocalisation volontaire : accompagnement des populations et planification concertée des déménagements hors des zones à haut risque, en collaboration avec les communes.
- Régulation de l’occupation du domaine public maritime : contrôle renforcé des constructions illégales dans la bande des 50 pas géométriques et clarification juridique pour les propriétaires concernés.
- Planification intégrée : élaboration de cartographies précises des zones vulnérables et coordination accrue entre collectivités territoriales, services de l’État et organismes de recherche (BRGM, CEREMA, DEAL).
Perspectives ouvertes
L’érosion du littoral martiniquais interroge notre rapport au rivage : lieu de vie, de travail et de loisir, le front de mer devient un espace en transformation permanente. Au-delà des solutions techniques — digues, enrochements, systèmes de drainage — la restauration des processus naturels et une gestion transparente et participative du littoral apparaissent comme des axes durables. À terme, la manière dont la Martinique relèvera ce défi fera office de référence pour d’autres territoires insulaires confrontés aux mêmes enjeux. Le rivage ne se protège pas seulement avec des infrastructures, mais aussi par une compréhension partagée de son évolution et par la transmission d’une mémoire collective tournée vers l’adaptation.